« T’as pas l’air autiste. »
« T’es autiste ? Ça se voit pas… »
Non, ça ne se voit pas. Ça se vit. Tous les autistes n’ont pas les mêmes difficultés, les mêmes capacités d’adaptation, les mêmes talents pour passer inaperçus.
D’ailleurs, tous les autistes n’ont pas envie de passer inaperçu. Ou plus exactement, c’est pas la question : la question c’est surtout d’être soi.
Certains apprennent à regarder dans les yeux, certains apprennent à porter leur attention sur la gestuelle de leurs interlocuteurs (au détriment de tous les autres signaux, extérieurs et intérieurs). Ce sont des choses qui ont un coût.
Selon l’âge auquel on est diagnostiqué, on construit sa vie différemment. On cherche à se conformer aux attentes, aux injonctions de la société. Avec le diagnostic, vient la remise en question de toute une vie, d’autant plus difficile que le diagnostic est tardif. On revoit toute sa vie défiler, avec une nouvelle grille de lecture. On revoit surtout ses échecs. On (ré)apprend à se comprendre, à se connaître, à s’écouter. On (re)découvre nos émotions.
Quand on est diagnostiqué tardivement, qu’on a passé sa vie entière à tenter coûte que coûte de s’adapter, de faire comme les autres, de produire et d’être ce que la société attend, il peut être très difficile de se défaire des comportements sociaux normés et il peut être très difficile d’être vraiment soi.
On continue de passer inaperçu, parce qu’on continue de faire des efforts. Parfois, dans certaines situations, quand tout le monde sait qu’on est autiste, que l’entourage du moment est bienveillant, on se sent écouté, et considéré. Nos difficultés sont prises en compte et quand les personnes ne savent pas, elles demandent, posent des questions, et le dialogue est salvateur.
Mais pour les autres, qui ne prennent pas part à ces échanges, qui voient uniquement ce qu’on produit comme travail, dans une association par exemple, l’image perçue est loin de la réalité.
On peut monter une association, se faire connaître sur tout le département par la plupart des partenaires du médico-social, voire du sanitaire, de certains services publics, on peut avoir des projets complètement délirants (ambitieux). À partir de là, quand on dit qu’on est en difficulté, on continue de subir malgré nous, malgré nos interlocuteurs, les préjugés de la société. On n’est pas considéré autiste, parce qu’on est actif, on bosse 30 ou 40 heures bénévolement pour son association. Finalement, pourquoi on demande une AAH, alors qu’on arrive à accomplir tout ça ?
Pourquoi ? C’est très simple. Parce que ce que vous voyez, c’est une façade, c’est une image. Ce n’est pas notre vie intérieure que, par définition, nous ne partageons avec personne.
Parce qu’on est productifs quand tout va bien. Mais il suffit d’une contrariété, qui pour une personne non autiste n’est pas particulièrement préoccuppante, parce qu’elle sait qu’elle pourra gérer le problème.
Oui, mais voilà. Quand on est autiste, on a beau savoir qu’on arrivera à gérer le problème, il est envahissant. ENVAHISSANT. Une émotion « négative » et c’est toute votre journée qui est foutue. Ce sont toutes les émotions, tous les sentiments, tout ce qu’on ressent qui se mélange. On ne sait plus qu’est-ce qui cause quoi, ni même pourquoi on ressent cette sorte de mélancolie. On pleure pour pas grand chose. Enfin pas grand chose… si, c’est grand chose, en vrai : c’est envahissant. Nos émotions sont alors incontrôlables. On avance comme un robot, comme un zombie. Difficile de rester debout, on sent nos forces nous quitter.
Dans ces cas là, y’a pas grand chose à faire : rien. Ne rien faire. Cesser toute activité, s’allonger, se reposer. Penser à autre chose, regarder notre série comique préférée, attendre. Dormir.
Voilà en quoi l’autisme est handicapant. Plus exactement, comment il nous met dans des situations de handicap (parce que ce sont ces situations bouleversantes qui sont difficiles à affronter et qui causent un effondrement). La difficulté à gérer nos émotions fait qu’on n’est jamais loin du précipice. Tout va bien, tout se déroule bien dans notre vie pendant un moment et puis bim. Une contrariété, une mauvaise nouvelle, un incident. Un truc qui nous rappelle qui on est, notre parcours difficile, nos échecs. Et plus on est vieux, plus c’est douloureux. Douloureux de voir qu’on n’arrive pas à avancer comme on voudrait, qu’on n’est pas capables de travailler comme la société le voudrait, qu’on dépend des aides sociales, qu’on vit en dessous du seuil de pauvreté.